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  • Photo du rédacteurSasha

11- Le grondement de la neige

Dernière mise à jour : 14 mars 2021




La neige continuait à tomber… Encore et encore.

Elle tapissait de blanc ce monde saturé de mensonges et de chagrin, l’étreignait et le berçait entièrement.

Sans fin. Pour toujours.


Les derniers instants approchaient. Pour Kirite, Kotonoha et puis… Orochi.

Orochi… Depuis, Kirite l’avait traqué sans relâche, durant des jours d’errance, stériles et de recherches infructueuses. Malgré tout, la chance fut parfois de son côté. Il y eut quelques rencontres et séparations fugaces. Il porta, reçut des coups, poursuivi, fut poursuivi…

Il avait enfin atteint la montagne d’ossements de Dobenaq, emprisonnée dans les abîmes de Volfinor.

Oui ; il était bel et bien là. Il l’attendait un peu plus loin.

Pouvait-il arrêter Orochi ? Et s’il l’arrêtait, qu’arriverait-il à Kotonoha ?

Il n’en savait rien. Que pouvait-il faire à lui tout seul ? Qu’allait-il leur arriver s’il continuait ?

Toujours était qu’il ne pouvait pas laisser Orochi agir en toute impunité. Il lui était impensable d’abandonner Kotonoha ainsi.

Dans la neige qui s’était amoncelée, il avançait sans faille, un pas après l’autre.

Il se dirigeait vers la conclusion absolue.


Sur la falaise qui surplombait la ville au loin, une jeune fille lui tournait le dos. La rigidité et la solitude qu’elle portait l’éloignaient des autres.

Le vent soufflait avec véhémence. Les nuages gris s’entremêlaient et se dispersaient. Dans ce monde d’un blanc pur, le manteau pourpre de la jeune fille s’agitait en claquant.

Les yeux rivés sur sa silhouette, Kirite réduisit de quelques mètres la distance qui les séparait et s’arrêta.

« Kirite... »

Elle se retourna tranquillement.

Silencieux, ils se regardèrent l’espace d’un instant, seulement séparés par la neige portée par un vent de biais.

« Orochi... »

La réponse de Kirite fut immédiatement balayée par le vent et alla s’évanouir dans l’horizon.

«- Non, Kirite, ce n’est pas lui… C’est moi.

- … ?! Kotonoha !

- Il… Orochi dort à l’intérieur de moi… Ce jour-là, ce soir d’automne, quand je me suis retrouvée face à mon reflet dans la vitrine, j’ai tout compris... »

Elle baissa les yeux et tourna légèrement la tête.

« Une jeune fille est assoupie. Pendant son sommeil, elle rêve qu’elle erre dans l’interstice entre la vie et la mort. Elle rêve de ce monde. Orochi est le désir et l’obscure admiration qu’elle ne s’aperçoit pas elle-même éprouver pour la ruine et la destruction. Il est son désir de mort. »

Sur ces mots, Kotonoha leva son visage et regarda Kirite dans les yeux.

« Orochi a l’intention d’avaler tout ce qui existe en ce monde, d’en finir avec lui. Pourtant, il fait partie de moi ; c’est indéniable. C’est un fragment de mon âme que je ne peux ni laisser partir, ni effacer ! Il n’est pas en mon pouvoir de l’arrêter... »

Alors, elle baissa la tête.

Kirite la regarda sans rien dire.

La neige les étreignait, continuant à tomber. Comme si, à cet instant, n’existait qu’eux en ce monde. Comme si le sablier de toute chose arrêtait son cours en leur faveur.

Pendant un moment, un bruit de neige foulée parvint aux oreilles de Kotonoha, les yeux rivés sur ses pieds. Kirite se rapprocha doucement avant de s’arrêter près d’elle.

Une main droite était ouverte devant ses yeux baissés.

« Rentrons, Kotonoha. »

Elle ne bougea pas et continua à la regarder.

« Kirite... »

Sa main s’estompait peu à peu. Kotonoha leva faiblement la sienne.

« Je... »

Elle passa à côté de la main tendue de Kirite et agrippa soudain son cou.

«- Urgh… !? Kotonoha ?!

- Rentrer ? Où ça ? Je n’ai nulle part où rentrer. »

Kirite tenta désespérément d’échapper aux mains de Kotonoha qui se resserraient sur son cou avec une force terrifiante. Le bracelet autour de son poignet était agité de petites secousses.

«- Arrête… Kotonoha...

- C’est inutile, Kirite. Je te l’ai déjà dit.

- … ? Orochi ?!

- Kotonoha et moi sommes liés pour l’éternité. Si je tombe, elle disparaîtra. »

Orochi, qui avait subrepticement pris la place de Kotonoha, affirma sans s’émouvoir la force dans ses mains qui l’étranglaient.

«- Urgh… !

- Écoute-moi bien. Tous veulent disparaître au fond de leur cœur, là où je me trouve. Disparaître de ce monde dominé par les mensonges et la tromperie. Aimés de personne, sans importance.

- Ce… Ce n’est pas vrai ! Réveille-toi, Kotonoha !

- Qu’elle se réveille ? … Ah ah ah ! C’est une blague ? Tu demandes à celle qui est rêvée de se réveiller dans ce monde onirique ? Qu’elle émerge de ce rêve pour ouvrir les yeux dans un autre rêve ? »

Orochi effaça soudain le sourire de son visage et dévisagea Kirite à travers ses yeux glacés.

« Je ferai tout disparaître. C’est ça, ce que tu souhaites ? Un état d’incertitude à mi-chemin entre la vie et la mort ? Plutôt que de se réveiller… Il vaudrait mieux qu’elle dorme pour l’éternité. Et qu’elle soit ainsi libérée de tout. »

Voyant sa conscience s’évanouir, Kirite rassembla ses dernières forces pour lui répondre.

«- Ne te fous pas de moi, Orochi. Kotonoha et moi… Nous vivrons !

- Imbécile ! »

Dans son arrogance, Orochi réaffirma à nouveau la force dans ses mains.

« Urgh ! »

Contre toute attente, la force qui l’étranglait se relâcha.

« Ur… urgh... »

Le corps de Kirite, tout juste libéré et à bout de souffle, flancha aussitôt.

« On dirait que le moment est venu... »

Les mots ruisselèrent goutte à goutte jusqu’à ses pieds.

« Ko… Kotonoha ? »

« Tu disais ignorer si Orochi était vivant ou mort ? Qu’il pouvait bien ne jamais se réveiller… »

« Kirite… En fin de compte, c’est ça, la seule question à laquelle chaque être vivant en ce monde doit répondre : pour quelle raison existons-nous ? Pour qui existons-nous ? Pour nous-même ? »

« Chacun doit s’emparer de cette réponse avec ses propres mains. Personne ne doit nous l’enseigner, ni ne nous la donner. »

La jeune fille baissa les yeux et laissa échapper une faible expiration mélancolique, semblant permettre à son âme de s’échapper.

«- Mais moi, je ne sais plus trop pourquoi j’existe...

- Kotonoha...

- Kirite… Je suis désolée. »

Sidéré, Kirite tendit sa main vers Kotonoha.

« Non ! Kotonoha ! »

L’instant d’après, sa silhouette avait disparu de l’autre côté de la falaise.



Crédit photographie : Masumi Takahashi

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