top of page
Rechercher
  • Photo du rédacteurSasha

12- L'arbre aux prières

Dernière mise à jour : 4 mars 2021


Sur les derniers mètres, il glissa et dégringola sur la pente recouverte de neige.

Kirite, qui scrutait les environs sans relâche depuis que Kotonoha avait subitement sauté du bord de la falaise, découvrit son corps qui gisait faiblement sur une petite corniche saillante dix mètres plus bas.

Mais le temps qu’il se relève après avoir secoué la neige tombée sur sa tête pendant sa chute, elle avait disparu.

Stupéfait, Kirite s’immobilisa.

« Kotonoha ?

- Si c’est moi que tu cherches, je suis là. »

Il se retourna brusquement et vit Orochi devant lui.

« Tu as sans doute déjà compris, Kirite. Ce monde est un embryon qui ne verra jamais le jour. Il trébuche dans une tiède inertie, s’abandonne à l’indolence. »

« C’est la fin ! Que tout retourne au néant ! »

Les flammes jaillies de la bouche d’Orochi submergèrent aussitôt le monde.

Devenu l’obscurité qui déployait ses grandes ailes, il fondit sur Kirite.


Inerte et seule, Kotonoha flottait dans l’épaisseur de l’étouffante brume.

Que voulait-elle, au juste ?

Vivre ?

Mourir ?

Elle était trop effrayée à l’idée de trouver la réponse d’elle-même ; elle voulait qu’on aille la lui chercher. Elle avait tout laissé en suspens et s’était enfuie.

Tu t’en es aperçu, Kirite ? Je suis faible et hypocrite. Je ne suis définitivement qu’une lâche.

Merci... Mais ça suffit. Tu as assez souffert pour moi. Je…

A cet instant…

Gling !

Une graine de Tektome était apparue.

D’une teinte pâle.

Une graine du fruit que Kirite lui avait tendu au printemps, qu’Orochi avait écrasé sous ses pieds en automne dans l’impasse roula devant ses yeux.

Abasourdie, elle la regarda sans bouger.


« Que se passe-t-il, Kirite ? Tu ne devais pas survivre avec Kotonoha ? »

À perte de vue, d’innombrables essaims d’étincelles rouges exécutaient une danse macabre, comme des insectes déchaînés. Les flammes rougeoyantes dévoraient avec fracas l’obscurité, qui les dévoraient à leur tour.

Le garçon était blessé, à terre ; son feu vital s’éteignait doucement, tout au fond de son petit corps. Malgré tout, il n’avait pas succombé. Pas pour l’instant.

« Tout s’arrête ici. Pour toi comme pour ce monde. »

Le garçon, muet, ne put que soutenir le regard de son ennemi. Noir comme la mort, sombre et froid, enduisant tout de désespoir. C’était donc la fin... Il avait fait ce qu’il lui était permis de faire.

Était-ce un long combat à mort, ou seulement un petit jeu ? Au fond, cela valait-il même la peine d’essayer ? Il savait déjà tout cela ; mais il fallait bien faire quelque chose, non ?

Tout se terminait ici. Qui voudrait encore l’arrêter ?

Il était impuissant. Il avait raison. Que pouvait-il y changer, à lui seul ? Dire que finalement, c’était ça, son destin...

Le garçon se noyait dans le désespoir, prêt à abandonner.


A cet instant, les flammes flamboyantes et qui brûlaient tout sur leur passage prirent dans ses yeux l’allure de pétales tournoyant vers le sol. Une jeune fille était là, sous les pâles pétales, évocatrice du passé. Elle se tenait immobile et, sur son profil noble flottait aussi une tristesse tenace.

« Nous voilà, ainsi, tous les deux.

Nous ne devons pas abandonner. »

Non ! Ça ne pouvait pas se terminer comme ça. Il ne s’avouerait jamais vaincu. Il lui avait fait une promesse...

Alors, il voulu se relever. Il serra fort les dents, les poings, pour encourager son corps qui hurlait. Sa sueur ruisselait et se changeait aussitôt en vapeur blanche crépitante au contact de la terre brûlée. Ses deux jambes tremblotaient, comme prêtes à se liquéfier puis à céder à tout moment.

« Donnez-moi au moins la force de l’affronter à nouveau ! Le courage de lui faire face ! »

Il pria avec ferveur. Il se tourna vers Dieu, lui qui n’avait encore jamais prié.

Il était, à cet instant, sur le point de déclencher quelque chose.


Pouf.

Elle s’ouvrit.

Une petite pousse sortit de la graine de Tektome.

La pousse créa des feuilles, développa ses branches et, en un instant fut assez grande pour envelopper tout à fait Kotonoha.

Se nourrissant d’elle, elle continua à grandir et devint un gigantesque arbre ancestral.

Sur les branches, d’innombrables bourgeons croissants firent éclore une multitude de fleurs pâles comme la neige.

Dans l’arbre Kotonoha s’ouvrirent des fleurs de prière. Les futurs fruits du rêve.

Elles n’étaient là ni pour le salut, ni pour le pardon.

Le rêve dans le rêve tenta enfin, pour la première fois, de créer une réalité vivante au lieu d’une illusion.

« Kirite... »


La neige qui tombe incessamment, les étincelles dansantes, les pétales qui virevoltent…

Les trois scènes se superposent, leur temporalité ne devient qu’une.

Puis, la lumière éblouissante surgie de la main de Kirite devient lame.

Kirite. Le porteur de la lame. Celui qui tranche les chaînes du destin.

Kirite et Orochi.

Une fois encore, il se font face sur le devant de la scène. Enveloppés dans la neige, les étincelles et les pétales.

« Nous nous sommes affrontés tant de fois... Tant de lieux, tant de formes… Notre lutte se poursuivra inlassablement, encore et encore. Peut-être même pour l’éternité. »

« Hmpf, c’est sans doute mieux comme ça. Mais qui sait ; c’est peut-être aussi maintenant que tout se décide. »

Kirite rassembla ses dernières forces et prépara sa lame. Ils ne firent plus qu’un.

« - Orochi, on dit que tu hantes les profondeurs de chaque cœur ; dans ce cas, j’irai partout où tu apparaîtras.

- Imbécile. Je voudrais te demander une dernière chose. Si je gagne, la jeune fille qui rêve ce monde disparaîtra. Si tu gagnes, elle se réveillera du rêve auquel elle donne vie… Quoiqu’il arrive, elle disparaîtra et ce monde sera anéanti. Tu disparaîtras toi aussi, tu sais ? Et tu veux quand même en finir ? »

Kirite lui retourna son regard sans hésitation. Il n’y avait nul besoin de répondre.

Sur le visage d’Orochi, un vague sourire était apparu avant de disparaître aussitôt.

« Dans ce cas… Meurs, Kirite ! » hurla Orochi.

Il se rua sur Kirite.

Dragon et lame s’abandonnèrent au combat.


Malgré l’absence de vent, l’arbre Kotonoha dispersait silencieusement ses pétales dans la brume.

Tout à coup, une explosion flamba. Un énorme dragon sortait des profondeurs !

Une lame étincelante lui transperçait profondément l’arrière du cou.

Sa tête tressauta violemment et, avec un hurlement dément, il alla s’enrouler autour du tronc du grand arbre.

Le dragon, à présent totalement entortillé autour de l’arbre tourna la tête et se mordit la queue.

Avec une violence inouïe, son corps fut avalé par les profondeurs de sa gueule grande ouverte ; il tentait de s’attaquer à celle qui l’avait transpercé.

En un instant, le corps du dragon avait presque entièrement disparu dans sa propre gueule, ses mâchoires se refermant enfin sur la lame.

Le dragon sourit.

L’instant d’après, il y eut une explosion d’étincelles argentées et tout se retourna.

Intérieur et extérieur s’inversèrent.

Le hurlement d’Orochi résonna.


Quand les étincelles s’évanouirent…

Kotonoha gisait là, le teint pâle.

A côté de son mince poignet, son bracelet, un cercle en forme d’Ouroboros, s’était brisé puis éparpillé.

« Je suis désolé, Kotonoha... »

Comme sortie de nulle part, la douce voix de Kirite atteignit ses oreilles.

« J’ai semé les graines du rêve. Tes fleurs s’épanouiront. Une nouvelle fois. Chaque fois que les saisons se renouvelleront. Encore et encore... »

« Tu trouveras un jour la réponse. J’en suis sûr. Je resterai à tes côtés. »

« Toujours. Peu importe le temps qu’il faudra. »

Kotonoha ouvrit doucement les yeux. A ses côtés, Kirite souriait, agenouillé.

Elle leva les mains et parcourut doucement ses joues de ses doigts.

« - C’est long, toujours… Tu sais, personne ne vit éternellement...

- Je sais. Je le sais bien, Kotonoha…

- Oui… Merci, merci pour tout, Kirite. »

Kotonoha regarda Kirite dans les yeux, esquissa un dernier sourire frêle et ferma tranquillement les yeux.

« Kotonoha… ? Kotonoha ! »

Kirite se tut. Il serra de toutes ses forces son corps contre lui.


Crédit photographie : Masumi Takahashi

25 vues0 commentaire

Posts récents

Voir tout
bottom of page