3- La promesse du vent - Là où vont les pétales
- Sasha
- 13 juil. 2020
- 3 min de lecture
Dernière mise à jour : 20 août
Quand elle posa les yeux sur le garçon, une vague inattendue de nostalgie l'envahit.
Au milieu des passants et du reste du monde qui sombraient dans une plate monochromie, on l'aurait dit nimbé d'une couleur pâle. L'image évoquait une carte postale envoyée par un ami que l'on n'aurait pas vu depuis des années. L’air qu’elle respirait jusqu’ici avait comme changé de nature et lui serra doucement la poitrine.
Quand le garçon remarqua son regard, il fut d'abord surpris, mais bientôt, un sourire doux s'afficha sur son visage. D'un pas tranquille, il s’approcha avant de s’arrêter devant elle. Ils se scrutèrent un instant, puis il se pencha soudain pour ramasser un objet à ses pieds.
– C’était tombé…
Dans la paume de sa main tendue se trouvait un fruit azur de Tectome. Il avait dû rouler hors de son panier sans qu'elle s'en aperçoive.
– Ah, euh… merci.
Déconcertée, elle attrapa le fruit du bout des doigts et le remit dans son panier, prenant bien soin de ne pas toucher la main du garçon. Le bracelet en forme de serpent qui ornait son poignet tinta.
La jeune fille, qui avait à présent relevé sa figure, dévisagea à nouveau le garçon.
– Pardon, mais… Je ne t'ai pas déjà vu quelque part ?
– Hmm... Non… je ne crois pas.
Elle s’était donc fait des idées. Mais, et cette étrange sensation de familiarité, alors ? Non, ce n’était que son esprit qui lui jouait des tours. Il devait simplement ressembler à l'une de ses lointaines connaissances.
Lorsqu'elle prit congé d'un bref hochement de tête, un soulagement teinté de solitude s'empara d'elle.
– Attends... commença-t-il.
Un malicieux vent printanier souffla un grand coup et fit virevolter un nombre infini de pétales.
D'instinct, la jeune fille leva la tête ; devant elle, un grand arbre d’Alca en pleine floraison, malgré son âge, se dressait sur le bas-côté. Il était à la fois envahi par la folie et par un calme brutal. C’était une célébration absolue, simple et chaotique, de l'abondance et de la décadence, de la vie et de la mort.
Les pétales qui tournoyaient détournèrent les pensées de la jeune fille du garçon puis des fleurs espiègles pour l'inviter à contempler l'existence.
L'arbre célébrait la vie avec une beauté sans égal, et en même temps, la mort l'imprégnait tout entier… Plus elle tentait d'accomplir sa vie, plus elle se précipitait au devant de sa fin. Là se trouvaient à la fois la bénédiction et la malédiction de la vie. Chaque créature en était prisonnière, depuis le moment de sa naissance.
Pourquoi, alors, ne pas geler plutôt que d'attendre l'arrivée de la putréfaction ? Lui reprocherait-on de s'accrocher à ces pensées-là ?
Elle ne désirait qu'une chose : baisser les bras.
– Sa fin est pour bientôt... Mais moi, je crois que les fins n’ont rien de triste.
Les mots du garçon interrompirent son monologue intérieur et la ramenèrent à la réalité.
Il riva son regard sur l’arbre et ses branches aux innombrables fleurs.
– Regarde avec quel enthousiasme il fleurit… C’est déjà beaucoup, tu ne trouves pas ?
Il avait levé les mains au-dessus de lui pour recueillir quelques pétales virevoltants dans ses paumes. Quand il ramena ses mains vers lui, il relâcha les fleurs, qui s’abandonnèrent à nouveau au vent. Il se retourna et regarda la jeune fille droit dans les yeux.
– Toi et moi, nous sommes là, et nous ne renoncerons jamais, dit-il, un sourire timide sur les lèvres.
La jeune fille ne comprit pas ce qu'il voulait dire. Et pour lui aussi, c'était sans doute encore trop tôt.
Quelle personne étrange… Un peu perdue, elle eut tout de même envie de suivre son instinct : au fond d'elle, elle savait qu'il n'était pas malveillant.
C’était la première fois que ça lui arrivait.
D’un tempérament farouche, elle n'avait, depuis son arrivée dans cette ville, jamais réussi à surmonter sa terreur à l'idée de s'ouvrir aux autres. Au fond de son cœur gelé et impénétrable, une fissure se créa. La nuée de pétales et le vent printanier avaient enclenché une métamorphose, imperceptible en l'état.
Telle fut la rencontre de Kirite et Kotonoha ; tel fut leur point de départ.

Crédits photographie : Masumi Takahashi
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